La haute sensibilité
Hyper sensibilité, Haute sensibilité, Ultra sensibilité, tant de façons de l'exprimer !
Je vous propose d'utiliser le terme de sensibilité dans la suite de mon article, vous mettrez le préfixe qui vous convient, celui avec lequel vous êtes à l'aise.
Aujourd'hui je voudrais vous parler de sensibilité, un sujet que je vous prépare depuis plusieurs semaines, que j'ai pris le temps de mûrir depuis que je me suis découvert sensible il y a quelques mois. La sensibilité est un trait de personnalité partagé par un bon cinquième des individus de nombreuses espèces. C'est un trait évolutif qui permet à la vie de perdurer, aux espèces de survivre, rien que ça ! La sensibilité a été étudiée pour une centaine d'espèces animales, des insectes, des oiseaux, des petits ou grands mammifères, chez les enfants et les adultes humains. Et dans chacune de ces études indépendantes, le même constat : 20% environ des individus bénéficient d'une sensibilité plus élevée que les 80% restants et il y a autant de mâles que de femelles sensibles ! Cela peut sembler surprenant comme ratio, en tous cas chez les humains : les femmes expriment plus facilement leur sensibilité alors que la grande majorité des hommes la répriment mais il y a autant d'hommes que de femmes sensibles ! Cette sensibilité permet à certains individus d'agir comme sentinelles pour le reste de leur groupe et de prévenir des dangers potentiels. Attention, là c'est la partie un peu scientifique. Cette capacité est directement liée au traitement neuronal particulier de ces sensibles. Nous pouvons avoir jusqu'à 50% de connexions neuronales supplémentaires – pas plus de neurones ! simplement les connexions entre eux – que nous utilisons dans un raisonnement en arborescence quand les personnes moins sensibles procèdent par raisonnement séquentiel. Cela nous permet d'envisager beaucoup plus de scenarii, de discerner des détails imperceptibles au quotidien mais conduit rapidement à une surconsommation de neurotransmetteurs. En particulier, la sérotonine est produite en quantité limitée à partir d'un acide aminé, le Tryptophane, apporté par notre alimentation. Cette molécule est étroitement liée à l'état de bien-être que l'on peut ressentir et lorsque notre réflexion permanente épuise nos stocks, il nous est nécessaire de prendre du repos, parfois totalement isolés dans le noir. Vous êtes toujours là ? Dans les années 90, Elaine Aron, psychothérapeute américaine a commencé à étudier la sensibilité chez l'adulte humain. C'est elle qui a proposé le terme “Highly Sensitive Person” (HSP) pour décrire ce trait de personnalité. Après de nombreuses études en psychologie et neurophysiologie, elle a décrit la sensibilité selon 4 critères résumés dans l'acronyme DOES :
“D” pour “Deep Processing” – en effet, notre organisation neuronale en arborescence nous conduit en permanence de traiter toutes les informations de notre entourage de façon très approfondie, d'en interpréter la totalité et de percevoir les situations dans leur ensemble. Ceci est inconscient et nous sommes régulièrement incapables d'expliquer comment nous sommes arrivés à une conclusion ou une perception d'une situation bien peu explicite. Vous savez, c'est le cas de l'élève qui écrit le résultat juste sans avoir écrit toute la démonstration ou celle d'un proche qui pensera systématiquement à ce que tout le monde avait oublié dans l'organisation d'une activité.
“O” pour “Overstimulation” – en lien avec ces réflexions permanentes et l'épuisement physiologique de sérotonine, la sensation de saturation est importante chez les personnes sensibles. Elle intervient en tous les cas bien plus tôt que pour les personnes moins sensibles. Nous éprouvons régulièrement un besoin vital de prendre du recul, de nous isoler un instant et mettre nos sens au repos. C'est là aussi le cas des petits enfants qui semblent disjoncter en fin de journée ou celle d'un ami qui a besoin de sortir s'aérer (ou carrément d'aller se coucher !) au cours d'une soirée animée.
“E” pour “Empathy” – les sensibles perçoivent très finement l'état émotionnel des personnes qui les entourent, interprètent une attitude, une expression, un mot. Cette perception se fait à l'aide des sens toujours en alerte chez les sensibles et par le traitement approfondi de ces informations. De plus, les sensibles possèdent une forte activité des neurones miroirs qui sont spécialisés dans les relations sociales, l'apprentissage par mimétisme et, donc, l'empathie. Cela nous permet de ressentir, avec la même intensité que la personne en face de nous, ses sentiments, ses joies comme ses peines. C'est le cas d'un ami qui viendra vous proposer un coup de main opportun sans que vous ne l'ayez demandé ou qui vous proposera de discuter autour d'un verre à un moment où vous en avez vraiment besoin mais n'avez pas trouvé le courage ou l'énergie de démarrer la discussion.
“S” pour “Sensing the Subtle” – en effet, les personnes sensibles perçoivent beaucoup plus finement les informations de leurs cinq sens. Ils ne sont généralement pas tous les cinq sur-développés mais il est fréquent qu'un ou deux sens agissent en synergie (hyperesthésie) et permettent une haute sensibilité sensorielle. Ce qu'il y a de commun à tous les sensibles est de prêter attention et de traiter pleinement les détails perçus. Ce collègue qui remarque votre nouvelle paire de lunettes ou un nouveau vêtement.
Au niveau scientifique, Elaine Aron parle de “sensory processing sensitivity” pour décrire les personnes sensibles. Il s'agit en effet d'une forte sensibilité dans le traitement des sens, avec ses bons c\u00f4tés et aussi ses difficultés. Peut-être que je reviendrai sur chacun de ces aspects dans une prochaine série d'articles ! En France, la sensibilité élevée a été particulièrement étudiée par le psychothérapeute Saverio Tomasella. Il a écrit de très nombreux livres sur le sujet et il est à l'origine de la “journée de l'hypersensibilité” le 13 janvier de chaque année. Si vous voulez découvrir le monde merveilleux de la sensibilité, je vous propose de lire ses trois romans : “A fleur de peau”, “Derrière le mur coule une rivière” et “Comme un enfant”. Il a également écrit ou coécrit d'autres livres plus techniques ou à destination des enfants. Saverio considère d'ailleurs que nous naissons tous sensibles, que nous passons notre enfance emprunts de sensibilité et que vers 5 ou 6 ans, l'éducation et la pression sociétale obligent à poser des filtres qui rendent hyposensibles une partie des adultes. Je ne peux que vous inviter à écouter ses interviews ou vidéos, c'est un être exquis, un sensible qui irradie de son bonheur intérieur, un être contagieux !
En tant qu'homme sensible, je dois bien avouer que la situation est souvent difficile. Le modèle “homme” dans nos sociétés industrielles pousse à gommer toute émotion, toute empathie. être un homme sensible aujourd'hui pousse facilement à l'isolement ou à la négation de sa sensibilité. Je constate que la plupart de mes relations “sensibles” sont avec des femmes, qui vivent et acceptent beaucoup mieux leur sensibilité. Elles sont souvent particulièrement étonnées de pouvoir discuter avec moi comme avec une copine ! Je n'ai pas encore rencontré d'homme sensible dans mon entourage qui assume sa sensibilité même si mes amis les plus proches sont immanquablement hautement sensibles. Pour finir par une touche d'actualité, en tant qu'homme sensible, je ne peux que soutenir les luttes contre le “système patriarcal” entreprises par des femmes bien trop souvent blessées par des hommes. En tant qu'homme sensible, je ne cautionne toutefois pas le féminisme extrême parfois exprimé qui vise à retourner la situation plutôt qu'à l'équilibrer. En tant qu'homme sensible, j'ai également subi des violences de la part d'une femme victime et je ne peux que constater que tout ceci n'est qu'un cercle vicieux. Tout comme l'exprime Saverio Tomasella, je pense que le temps sensible est enfin arrivé et qu'il est temps pour l'humanité de prendre soin d'elle, qu'il est temps pour nous tous de prendre soin les uns des autres.